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Avec le film "Piazza Fontana", une fenêtre s'ouvre sur l'affaire Pinelli

Publié dans le Monde libertaire du 29 novembre 2012

 

Avec le film "Piazza Fontana"

 

Un film ouvre une fenêtre sur l'affaire Pinelli

 

 

Depuis le 28 novembre 2012, un film italien de Marco Tullio Giordana, "Piazza Fontana", est sorti sur les écrans français. Le film aborde l'histoire tragique et méconnue en France des prémisses de la "stratégie de la tension" en Italie, et de la mort de l'anarchiste Pinelli en 1969. Interview et analyses.

 

Pour nous aider à comprendre et à resituer le cadre de cette histoire tragique de l'Ialie contemporaine, nous avons demandé à un camarade qui connut Giuseppe Pinelli de nous rappeller brièvement les faits. Paolo Finzi, qui est un des animateurs de la Rivista anarchica de Milan (1), a bien voulu nous accorder un entretien téléphonique.

 

"Je suis un militant anarchiste depuis 1968, et j'étais étudiant quand j'ai connu un groupe d'anarchistes de Milan, parmi lesquels il y avait Giuseppe Pinelli, qui à l'époque avait à peine quarante ans. C'était un travailleur des chemins de fer. Je suis entré dans le groupe anarchiste de Pinelli un an et demi avant sa mort. C'était une époque très agitée en Italie, avec beaucoup d'agitations ouvrières et étudiantes, une époque très intéressante du point de vue politique et social. Il y avait une forte présence et beaucoup d'activités anarchistes, exactement comme en France: les drapeaux noirs et rouge et noir étaient revenus dans les rues.

Je militais avec les étudiants, et Pinelli qui était un travailleur, était dans des collectifs ouvriers et avait aussi des activités spécifiquement anarchistes de propagande, de diffusion des journaux et des livres. Il militait au cercle anarchiste Ponte della Ghisolfa. Il était marié et avait deux enfants, des filles.

La police avait une grande attention pour les anarchistes qui ne représentaient pas un grand mouvement, malgré un développement du mouvement alors constitué à Milan d'une soixantaine de personnes. En 1968, il y avait eu des détentions d'anarchistes car il y avait eu deux petits attentats en avril; en 1972, ces personnes seront innocentées au cours de leur procès. En 1969, il y eût de petits attentats sur des trains, mais sans revendications ni auteurs identifiés, et la police pensait que l'auteur était Pinelli, cheminot, syndicaliste et anarchiste".

 

La tragédie de la Piazza Fontana

 

"Le 12 décembre 1969, l'attentat de la Piazza Fontana à Milan est le premier d'une longue série qui va se poursuivre au fil des années en Italie. Cet attentat fut une tragédie: 16 personnes moururent. On a alors compris que des choses nouvelles dans l'histoire de l'Italie allaient avoir lieu. La police milanaise fut manipulée par des organismes d'Etat et internationaux: les recherches se dirigèrent tout de suite vers les anarchistes.

A ce moment, j'avais dix huit ans et deux semaines, et je fus le plus jeune parmi ceux qui furent conduits au commissariat central de Milan. Ils arrêtèrent presque tous les anarchistes, y compris des vieux camarades qui n'étaient plus actifs, et aussi quatre fascistes, certainement pour montrer qu'ils avaient menés des recherches dans toutes les directions et pas seulement contre nous. Mais il y avait une centaine d'anarchistes arrêtés, dix marxistes-léninistes et quatre fascistes !

Personnellement, j'ai vu Pinelli pour la dernière fois dans les locaux de la police politique du commissariat central. Presque toutes les personnes arrêtées furent libérées dans l'après midi du jour qui suivit l'attentat. Mais certains d'entre nous ne furent pas libérés, dont Pinelli. Lui, resta en prison après les 48 heures de garde à vue. Au cours de la troisième nuit de sa détention, il s'est -selon la version officielle- jeté par la fenêtre du quatrième étage du commissariat où il était interrogé. Il était environ minuit, le 15 décembre 1969.

La police convoqua alors une conférence de presse et les deux chefs de la police milanaise ont donné deux versions complètement différentes du drame. L'une disait : "Il était certainement innocent, nous ne comprenons donc pas pourquoi il s'est jeté par la fenêtre". Et l'autre version était: "Nous avons dit à Pinelli que Valpreda, un autre anarchiste, avait été arrêté et qu'il avait avoué être le responsable de l'attentat et Pinelli aurait alors crié: "c'est la fin de l'anarchie !" et il se serait jeté par la fenêtre, prouvant ainsi sa responsabilité".

 

Calomnies et manipulations d'Etat

 

"Dès le début de l'affaire, nous, les copains de Pinelli, nous avions compris que c'était là le début d'une longue affaire. Il y eût une campagne très forte contre les anarchistes, et il a fallu un long processus pour inverser la tendance. Le 15 décembre 1972, le parlement italien a approuvé une loi spéciale, qui fut appellée "la loi Valpreda" car elle permettait aux personnes suspectées d'homicides de faciliter leur défense. L'opinion populaire n'acceptait plus la détention de Valpreda, et même certains grands journaux défavorables aux anarchistes ont participé à une campagne pour sa libération.

Les instructions sur cette tragédie de l'attentat n'ont jamais permis d'établir la vérité, malgré des procès fameux, 30 ans plus tard. La responsabilité d'éléments fascistes avec la couverture de certains pans de l'Etat fut établie; mais le dossier ne fut pas réouvert: officiellement, il n'y a donc pas de responsables, mais les anarchistes ont été disculpés".

Et que reste -t-il aujourd'hui de cette histoire tragique ? Paolo Finzi répond sans hésiter: "Aujourd'hui, la mémoire de Pinelli n'est pas seulement partagée par les gens qui, comme moi, l'ont connu; le drame de Pinelli a pris une ampleur internationale, dans une certaine mesure, puisque, par exemple, Dario Fo, qui sera prix Nobel de littérature en 1997, écrira en 1970 une pièce qui a fait le tour du monde: "Mort accidentelle d'un anarchiste" . Nous considérons que Pinelli est devenu un boomerang pour le Pouvoir car ils ont essayé de détruire son image; mais il était un bon père, un bon compagnon pour Licia, un militant sérieux, un organisateur ouvrier bien connu, il n'offrait pas d'aspects ténébreux dans sa vie qui aurait pu servir le Pouvoir. Il est donc devenu un symbole d'un anarchisme sérieux qui n'est pas pour les bombes, ou pour la violence inutile, et en Italie, il y a beaucoup de groupes qui s'appellent Pinelli, il y a des commémorations tous les ans. Il est populaire bien au-delà de la gauche".

 

Le film de Marco Tullio Giordana

 

Autant le dire tout de suite, ce film est une réussite. Nous reviendrons plus loin sur les réserves quant à l'interprétation des faits que nous propose là le réalisateur, mais ce film mérite d'être salué. Le réalisateur n'est pas un inconnu pour le grand public, puisqu'on lui doit par exemple "Une histoire italienne" (2008), "Nos meilleures années" (2003) ou encore "Pasolini, mort d'un poète" en 1995. Dans ces films, il nous parle des soubresauts de l'Italie à travers les trajectoires politiques de ses personnages, qui balancent entre illusions perdues et tragédies humaines, sur fond de délitement sociétal. Son nouveau film, "Piazza Fontana", (2) se reçoit comme une incroyable histoire, tant les mensonges d'Etat, les manipulations policières, les enchevêtrements avec les mouvements fascistes, les intérêts politiciens... ont brouillé les pistes afin que la vérité soit enterrée avec Pinelli. Le rythme du film, dicté par la chronologie de l'histoire sur fond de stratégie de la tension menée par l'Etat, nous embarque dans une sorte de course contre la montre qui ne nous laisse aucun répit. On est aspirés par les évènements qui s'enchaînent, et nous découvrons que les nombreux protagonistes de cette histoire brouillent les pistes, le tout dans une ambiance crépusculaire d'une Italie survoltée, aux avant postes des stratégies contre-révolutionnaires d'une Otan et d'une bourgeoisie nationale apeurées et revanchardes.

Pinelli est campé dans le film par Pierfrancisco Favino, un acteur remarquable que l'on avait déjà vu à l'oeuvre dans "Romanzo criminale" (2005) et le troublant "ACAB" (2012). Le militant est présenté de façon très convaincante tel que ses camarades parlent encore de lui, cinquante ans après les faits. On le voit s'emporter après Valpreda qui envisage le recours à des méthodes expéditives, au cours d'une réunion houleuse du cercle anarchiste Ponte della Ghisolfa. On l'observe dans son quotidien, attentif et prévenant avec sa compagne, avec ses deux filles, et infatigable dans ses fréquentes activités d'agitateur et d'organisateur de la contestation. Et il est troublant de le voir prendre son vélo pour suivre ses camarades raflés par la police et les rejoindre vers ce qui sera sa dernière destination.

L'autre personnage clé de cette histoire est évidemment l'inspecteur Calabresi, interprété par Valeri Mastandrea. S'il connait une fin tragique, on voit bien comment il tente de nouer une relation quasi-amicale avec Pinelli. Dans le film, ses découvertes sur les manipulations à l'origine du tragique attentat du 12 décembre 1969 lui fournissent les raisons d'une descente aux enfers du doute: Pinelli serait-il mort pour rien ? Pour mieux masquer des raisons d'Etat ? Qui manipule qui ? Calabresi, bourreau ou victime de cette ténébreuse affaire ?

 

Polémique sur la version présentée par le film

 

Luciano Lanza, est l'auteur du livre "Bombes et secrets, Piazza Fontana, un massacre sans coupables" (3). Dans un article consacré au film de Tullio Giordana, et publié par la Rivista anarchica (4), il remet par exemple en cause la prétendue relation presqu'amicale entre le policier et le cheminot. Témoignage personnel à la clé -il a connu Pinelli-, il affirme qu'en fait Calabresi était en colère contre Pinelli qui refusait une relation de complicité avec la police. Et qu'il aurait donc intégré Pinelli parmi ses premiers suspects, comme pour se venger.

La version du "suicide" dans le film est aussi un problème, pour Lanza. Selon le film, Calabresi n'était pas dans le bureau au moment du drame, alors que les témoignages divergent sur ce fait. En fait, les policiers présents dans le bureau donnèrent des versions différentes sur la nature même du drame. Enfin, sur l'attentat lui même, le film donne une version qui n'est pas définitivement établie par les enquêtes menées et fait la part belle à la suspiscion à l'égard de Valpreda, qui fut pourtant innocenté en 1979 , et après avoir fait trois ans de prison.

 

Il y a pourtant bien des certitudes sur cette affaire, comme l'écrira le journal Il Corriere della serra, en particulier sur les responsables de la tuerie de la piazza Fontana: "La vérité historique et politique est claire. On est bien documentés sur les responsabilités de la droite néo-fasciste vénitienne, les complicités et les fausses pistes des services de sécurité, et en particulier du Bureau des affaires secrètes (qui dépendait du ministère de l'Intérieur- ndt)".

 

 

Daniel (Groupe Gard Vaucluse de la FA)

 

 

 

Notes

1- Disponible en anglais et italien: http://www.anarca-bolo.ch/a-rivista/

2- Voir le site français consacré au film: http://www.bellissima-films.com

3- Publié en français en 2005, aux Editions CNT-RP.

4- Traduit pour les besoins de cet article par Eric Vilain

 

 

 


Date de création : 29/11/2012 @ 19:04
Catégorie : Expressions - Culture
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Nouvelle 1

Motion sur l'antisémitisme


Les chiffres des actes antisémites commis en 2018, et révélés par le ministère de l’Intérieur sont effarants. En un an, les actes recensés sont passés de 311 (en 2017) à 541, soit un bond de 74 %. Pour autant, pour nous anarchistes, il ne s’agit pas d’une « résurgence de l’antisémitisme », parce que celui-ci a toujours été présent au cours de l’histoire et se répand de manière exponentielle aujourd’hui, notamment avec les réseaux sociaux.
L’antisémitisme, visant les Juifs, ou supposés tels, en tant que groupe religieux, ethnique ou racial, n’est pas le seul apanage d’une droite extrême ou se voulant "traditionnelle " ou "nationaliste". Il réapparaît plus fort à chaque crispation identitaire.
De tous temps, de nombreux prétextes ont été utilisés pour justifier l’antisémitisme. Mais l’antisémitisme, en tant qu’une des formes politiques du racisme, culmine lors de la Conférence nazie de Wansee, pour définir les modalités administrative, technique et économique, de la "solution finale de la question juive ". L’antisémitisme a également ciblé les Juifs par les purges staliniennes, comme lors du « complot des blouses blanches ».
Après la Seconde guerre mondiale et l’extermination des Juifs, la plupart des militant·es juifs et juives ayant disparu, s'en est donc suivi un silence lourd de conséquence sur la Shoah, y compris dans les rangs des militant·es anarchistes. Est-ce dû au fait que la Shoah nous questionne profondément en tant qu’êtres humains ?
Toujours est-il que, non seulement l’extrême-droite, mais aussi des éléments issus de l’extrême gauche ont commencé à développer des propos et des positions révisionnistes voire négationnistes sur l’existence même du massacre des Juifs… alors qu’il est aujourd’hui acquis par les historien·nes qu’entre 5,5 et 6,5 millions d’entre eux ont disparu durant ce génocide. L’antisionisme est une autre question. Il est donc important de mobiliser toutes nos forces pour combattre tous propos ou actes antisémites et de bien les dissocier de l’antisionisme. L’ignorance de ces faits alimente le négationnisme et le révisionnisme.
Les anarchistes ne traitent pas le nationalisme de l’Etat israélien autrement que n'importe quel nationalisme. L’Etat d’Israël est pour nous un Etat parmi tant d’autres, qui développe aujourd'hui une politique raciste, colonialiste et sous pression religieuse.
Nous continuerons à soutenir les Anarchistes contre le mur en Israël, tout comme les objecteurs·trices israélien·nes, de même nous soutenons la lutte de la population palestinienne opprimée, et ce parce que directement au coeur des combats pour la liberté de chacun·e.
Car nous avons bien conscience que la création de l’Etat israélien confirme la thèse anarchiste que la création d’un Etat ne peut se faire que dans la violence. Nous avons cependant également conscience que, se dire anti-impérialiste ne suffit pas à se prémunir contre l’antisémitisme.
Aussi, en tant qu’anarchistes contre toutes les formes de discriminations et d’oppressions, nous continuerons à lutter contre l’antisémitisme, et à combattre toutes les formes de racisme, notamment à l’encontre des migrant·es, des réfugié·es et des exilé·es, activement dans la rue, mais aussi en renforçant nos moyens de diffusion (le Monde libertaire, Radio libertaire, Editions du Monde libertaire, tracts, conférences, cycles de formation, etc.) par des argumentaires et des recherches historiques.
Le racisme et l’antisémitisme sont des armes de ceux et celles qui cherchent à diviser pour dominer. Nous les combattrons pied à pied.


Fédération anarchiste 78ème Congrès (Amiens juin 2019)

Nouvelle 2

Lettre au préfet du Gard: Relogez ! régularisez !

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