En guise de conclusion au dossier
Des intérêts communs ?
Difficile de faire un tour d'horizon du sujet sans recueillir l'avis des organisations paysannes françaises se distinguant par leur anti-productivisme en agriculture. Pourtant, malgré nos diverses tentatives, nous n'avons pas réussi à obtenir le point de vue de syndicalistes de la Confédération paysanne ou de la Fédération de la Terre de la Confédération Nationale du Travail (FTTE-CNT). Je me suis donc tourné vers une structure associative constituée de producteurs agricoles.
Nature et Progrès (NetP)1 est une structure nationale, qui s'appuie sur des groupes locaux regroupant producteurs et consommateurs. Cette cohabitation permet des échanges et points de vue pluralistes sur l'alimentation et l'agriculture biologique. Eole Bonneault, salarié de Nature et Progrès de l'Aude, travaille sur les projets de groupements d'achats alimentaires. Il explique : « Ce sont les groupes locaux de NetP qui développent ou pas ces Groupements d'Achats (GA). Nous soutenons l'agro-écologie, nous essayons d'organiser les gens pour qu'ils s'impliquent plus sur leur consommation, et ces GA recréent un maillage de système agricole local, favorisant l'installation de producteurs répondant à la demande alimentaire d'un territoire, plus résiliant aux grandes chaînes de distribution. La production agricole peut ainsi se réaligner par rapport à un territoire. »
Dans l'Aude également, ces groupements sont anciens. Et même s'il y a un renouveau depuis cinq ans environ, cette expression ancienne de la ruralité se perpétue. Il y a toujours eu des petits groupements d'amis qui se rassemblent pour commander, et c'est très informel.
Au sujet de la diversité de ces GA, Eole Bonnault est affirmatif : « Nous pensons que la diversité est très intéressante et doit être préservée ; à NetP de l'Aude, nous proposons un système type, modulaire et indépendant, pour travailler en réseau, échanger des outils, des informations, mais nous insistons pour que ces groupements soient autogérés, autonomes, qu'ils s'insèrent dans le maillage du territoire tout en gardant leurs propres envies de fonctionnement. L'exemple le plus parlant est celui de ce groupement d'achat en Lozère, qui existe depuis 19 ans, s'autogère et concerne environ 200 foyers ».
Le drapeau noir flotte-t-il sur la marmite ?2
Ce modeste dossier permet de mettre en lumière que des traits libertaires traversent indéniablement ces constructions sociales que sont les GA. Au cours d'une rencontre en novembre 2009, des anarchistes fédérés à la FA avaient menés un travail de réflexion sur ce sujet. Premier constat : les anarchistes sont présents sur ce terrain là aussi. Ces questions renvoient à des débats passés mais inaboutis sur le sujet des pratiques collectives et coopératistes, sur la primauté de l'organisation économique d'une société par le biais de l'évaluation de la consommation et de ses incidences (écologiques, sociales, ...), afin d'envisager la réorganisation de la production. L'articulation entre ces pratiques collectives qui touchent à la relation avec la terre et ceux qui la travaillent, et l'abolition du salariat un des objectifs des anarchistes reste à construire. Le pragmatisme le dispute au politique. A tel point que le sujet de l'abolition de la propriété privée dans la production agricole, n'est plus citée dans les échanges sur ces questions. Mais le Capitalisme évolue dans sa forme, et prend de court l'Humanité qui se voit à présent voler son autonomie alimentaire qui devient même un enjeu impérialiste pour les États. Cette situation mérite donc de repenser notre rapport à ces mouvements sociaux, agricoles ou de consommateurs, qui, sans manier la grève ni recourir à la barricade, éduquent à l'autogestion, la coopération, l'autonomie, la fraternité. Et cela avec une orientation fréquemment anti-capitaliste et solidaire avec des paysans non-productivistes, tout en intégrant la situation écologique et agro-économique imposée par le désordre capitaliste. Bien entendu, ce mouvement social n'échappe pas aux écueils que l'on retrouve parfois aussi dans des manifestations plus classiques des contestations, et la dimension politique manque souvent pour dépasser le caractère surtout local de ces outils. Néanmoins, fédérer les autonomies, initier des associations d'égaux, collectifs égalitaires et autogestionnaires, reprendre en main des pans de sa vie, résister économiquement et socialement... sont des valeurs et pratiques que les anarchistes encouragent, d'ordinaire. « L'idée qui règle la révolution peut se conjuguer avec l'idée constitutive de la révolution elle-même : la révolution est nécessaire mais sa réalisation peut être fondée sur un projet gradualiste. Celui-ci réalise la révolution dans la mesure où l'idée de liberté, d'égalité et de solidarité se fait générale, se fait "sens commun". Comme inspiration reste donc la volonté révolutionnaire »3.
Daniel (Groupe Gard Vaucluse de la Fédération anarchiste)
1Voir sur internet : http://www.natureetprogres.org/.
2Le drapeau noir flotte sur la marmite est un film français réalisé Michel Audiard en 1971.
3Nico Berti, in Itinéraires n°5/6 de juin 1989 consacré à Errico Malatesta.
Catégorie : - 3. Dossier Autogestions et Groupements d'achats alimentaires (octobre 2012)
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