Le Capitalisme nuit gravement au secteur médico-social
Le capitalisme nuit gravement
au secteur médico-social
Aujourd'hui, le secteur médico-social accompagne en France plus de 1,2 million de personnes âgées et handicapées. Ce secteur d'activité qui regroupe 30 000 établissements et services et représente près d'1 million d'emplois (éducateurs spécialisés, moniteurs éducateurs, AMP, psychologues, assistants sociaux, secrétaires, comptables, agents d'entretien, cuisiniers...) se trouve dans un état alarmant. En effet, depuis plusieurs décennies, ce secteur, en permanence réformé connait une situation dangereuse autant pour la prise en charge des personnes concernées que pour les salariés, leur reconnaissance et leur spécificité.
De la solidarité...
Un petit retour en arrière pour cibler les notions qui ont fondé et modelé le secteur médico-social s'impose, pas pour étayer un discours passéiste stérile mais pour souligner la dérive progressive d'un secteur de service vers un secteur typiquement marchand.
Ce secteur a une vieille histoire qui tire son origine dans deux grands courants : la solidarité de corps par le compagnonnage et les caisses de solidarité d'un coté, la charité chrétienne et sa morale de l'autre.
C’est en 1652, que Louis XIV crée l’hôpital général, qui enferme malades, fous mendiants et autres défavorisés, dans une structure fermée. La charité était alors le moteur de l’aide « aux miséreux ».
L’industrialisation du début du XXème siècle et ses retombées sociales favorisent de nouvelles formes d’assistance pour apporter réponse à de nouveaux fléaux tels que la tuberculose, l'alcoolisme, la misère etc...
L’issue du conflit de 14-18 conduit la nation à se préoccuper des invalides et des associations, encore actives aujourd’hui, naissent dans les années 20 (LADAPT, ligue pour l’adaptation des diminués physiques au travail et l’APF, association des paralysés de France).
Après la dernière guerre mondiale, et les tragiques constats des abominations commises par les nazis, la société est marquée par cette folie d’extermination du « différent ». La bienfaisance, alors majoritairement privée se professionnalise, se fédère en associations, abandonnant peu à peu la prédominance confessionnelle.
La Sécurité sociale, instituée en 1946, marque un virage important dans le développement du secteur médico-social, en permettant la généralisation des soins et le développement des institutions (poids important du secteur associatif) chargées de les administrer. En 1956, un texte fondateur, « les annexes 24 » crée les conditions d’une approche psycho-pédagogique et médico-sociale dans le traitement des enfants inadaptés pris en charge par la Sécurité sociale. On passe d'une prise en charge basée sur la notion d'assistance à une prise en charge reposant sur la notion de solidarité. Dans les années 60, les professions sociales se mettent en place (création du diplôme d'éducateur spécialisé en 1967), les DDASS (Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales) sont créées et on assiste à une période de planification et de réalisation de nombreux équipements sur l'ensemble du territoire qui sera consolidée par la loi du 30 juin 1975 (création des Commissions Départementales d'Éducation Spécialisée pour les enfants et des COmmissions Techniques d'ORientation et de REclassement Professionnel pour les adultes*) .
à la rentabilité.
Dans les années 80, la décentralisation contribue à une politique sociale territoriale et contractualisée en confiant aux départements des pouvoirs très importants puis les années 90 voient la création des Agences Régionales de l'Hospitalisation et le vote par le Parlement de l'encadrement des dépenses de santé (ordonnances de Juppé). C'est le début de la fin qui s'accélère avec la réforme de la loi de 1975 en 2002 : mise en concurrence du secteur, régulation par la commande publique (autorisation de création nécessaire entrainant le financement, mise en place des procédures d'auto-évaluation et évaluation), application de méthodologies du management et de gestion des ressources humaines. Le secteur capitaliste s'intéresse de plus en plus sérieusement au médico-social qui se découvre solvable : les personnes âgées financent leurs prestations avec l'aide des moyens publics, les handicapés également en bénéficiant du « droit à compensation » ; la formation des professionnels est lucratif. En 2005, la création des Maisons Départementales de la Personne Handicapée (MDPH) mutualise de façon draconienne les services CDES et COTOREP puis la loi Hôpital Patient Santé Territoire (2010) qui met en place les Agences Régionales de la Santé (ARS) confirme l'idée de l'ouverture du médico-social au secteur marchand et concurrentiel. Le rôle des ARS (financées par une subvention de l'État et des contributions de l'assurance maladie et de la Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie) est de rationaliser l'offre de soins, autrement dit les dépenses hospitalières et médicales. Ces agences privilégient une approche administrative et financière plutôt qu'une approche médicale du secteur médico-social qui entre dans la logique de l'évaluation généralisée : prouver l'efficacité de son action et faire mieux avec moins pour être financé. Les établissements doivent respecter un cahier des charges établi par les autorités ; ils doivent maitriser leurs dépenses en signant des Contrats Pluriannuels d'Objectifs et de Moyens (CPOM). Pour faire simple, les établissements reçoivent une enveloppe financière globale de trois ans (auparavant, le prix était fixé par jour et par usagers en fonction du nombre et de la diversité du personnel) et se débrouillent pour faire tourner la boutique en réduisant les coûts (matériel et personnel).
Quelles conséquences ?
Les chefs d'établissement et les associations gestionnaires présentent des projets satisfaisants sur le papier aux autorités en échange d'une enveloppe financière adéquate pour les mettre en œuvre. Ils se regroupent pour mutualiser leurs services (restructurations et licenciements) et freinent leurs dépenses pour répondre aux exigences de la politique sociale et aux restrictions budgétaires. Les résultats ne se font pas attendre : dégradation de la qualité de l'accueil et et de l'accompagnement des usagers avec un recul des dépenses pour les activités éducatives et une baisse du personnel diplômé, difficulté pour certains établissements à boucler leur budget (salaires du personnel non payés, factures de prestataires comme EDF ou téléphone non honorées...), remise en cause des conventions collectives par les syndicats employeurs.
En effet, pour baisser le coût du travail, les patrons souhaitent réviser les conventions collectives (CC66 menacée depuis 2005, CC51 et Croix Rouge révisée en 2003 et de nouveau attaquée, CLCC dénoncée en 1997) en individualisant les rémunérations et en s'attaquant aux acquis conventionnels pour pouvoir réduire les masses salariales et être ainsi dans les clous des CPOM. Face à cette situation catastrophique et aux différents projets de casse soutenus par les employeurs, la négociation n'est pas admissible (la CFDT continue pourtant à faire des propositions malgré l'opposition des salariés). Seule une mobilisation d'ampleur de l'ensemble du secteur médico-social peut assurer la défense des garanties collectives. Le 7 décembre prochain, les syndicats Sud Santé sociaux, CGT action sociale et FO appellent à manifester dans toute la France afin de dénoncer la dégradation des conditions de travail, de la qualité de l'accueil et de la prise en charge des usagers du secteur médico-social, tout en refusant de détruire les conventions collectives de ce même secteur. Si les familles et amis des enfants ou adultes handicapés ou en difficultés pouvaient également entrer dans la lutte pour défendre l'avenir et la prise en charge des leurs, le combat pourrait peut-être prendre une nouvelle tournure ?
Philippe (Groupe Gard Vaucluse de la FA)
* le secteur est le champion toutes catégories de l'utilisation de sigles ; par respect du lecteur, je me suis contraint à limiter leur nombre !
Catégorie : - 2. Luttes sociales
Page lue 53763 fois